BORDEAUX : QUI A TUÉ LA POLICE MUNICIPALE? 2/2

Annoncé par Alain Juppé, puis par Nicolas Florian, et plus récemment par Pierre Hurmic, le recrutement de policiers municipaux est une arlésienne, une promesse jamais tenue, une preuve supplémentaire du mépris qui frappe ce service depuis plus d’une décennie.

LES LOIS DE L’ATTRACTION

Bordeaux compte actuellement 115 agents dont 47 ASVP (Agents de Surveillance de la Voie Publique), soit moins de 70 policiers municipaux de terrain pour 250.000 habitants. « Ils veulent faire monter des ASVP mais certains gagnent autant qu’un agent de terrain, ils n’ont aucun intérêt à passer PM ». Les policiers nationaux, gendarmes ou militaires, qui pourraient, quant à eux, être tentés par l’aventure de la municipale, ne tournent par leur regard vers la capitale girondine :
« On a une réputation particulièrement mauvaise au niveau national depuis le passage d’Andreotti. Les PM des autres villes sont bien conscients qu’il y a anguille sous roche ».

D’autant que, question salaire, Bordeaux n’a pas grand chose à offrir : le salaire
mensuel y est 400 euros inférieur à celui des agents toulousains, par exemple. « On récupère essentiellement des agents qui viennent se faire payer la formation initiale avant de s’en
retourner de par chez eux. Bordeaux est devenue la vache à lait de la formation au bénéfice des autres collectivités »
. Et ce n’est pas la récente augmentation de 23 euros nets (en réalité une simple mise à jour d’un décret jamais appliqué) qui permettra de susciter davantage de vocations ni d’endiguer les départs : « On a quelques vieux “Chibanis“ fatigués dont on pourrait croire qu’ils vont aller tranquillement au bout de leur carrière. Mais même eux, ils veulent muter pour quitter Bordeaux ». D’autant qu’en coulisse, les boîtes privées de sécurité s’agitent pour débaucher les
agents. « Ça se fait par le bouche-à-oreille, à la boxe, au crossfit. On croise d’anciens collègues qui nous en parlent. Certains se font 500 balles de plus par mois en bossant chez Michelin. Et en plus, ils sont armés ! ».

« En PM, les leviers d’attractions sont simples
à définir : l’armement létal et le pognon.
À Bordeaux, il n’y a ni l’un ni l’autre. »

LE CHOIX DES ARMES

Heureusement, au palais Rohan, on a pas de moyens mais on a des idées : « Monsieur Del Soccoro, directeur RH de la mairie, déjà à la manoeuvre pour nous faire avaler le projet de service 2018, semble avoir trouvé la martingale pour enfin rendre la PM attractive : mieux rédiger les annonces d’emplois et les publier sur de multiples supports ! Si avec ça, les candidats ne se bousculent pas au portillon, c’est à n’y rien comprendre », ironise un agent. La mission recrutement semble d’autant plus improbable que la concurrence est rude, d’autres communes de la Métropole ayant décidé de faire monter leur police en puissance.

À Pessac, le maire DVD, Franck Raynal, souhaite armer ses hommes et améliorer leur équipement. « La PM armée, c’est une vraie avancée. Quand on parle d’armement, on parle d’abord de notre propre sécurité » affirme un policier ayant exercé dans des villes qui ont fait le choix des armes létales pour leurs agents. En France, 53% des policiers municipaux sont armés. « Ça me choque qu’on pense qu’on ne serait pas capables de gérer des armes. On a des anciens gendarmes, des ex-officiers de Police Nationale, d’anciens militaires. Et beaucoup d’entre nous sont des tireurs sportifs. On est responsables. Pour ma part, j’ai sorti deux fois mon arme en 14 ans de carrière et je n’ai jamais tiré ». L’argument du manque de formation ou d’aptitude, souvent avancé, s’avère également peu pertinent lorsque l’on compare PN et PM. Du côté la “Natio“, une seule journée d’initiation au maniement des armes de poing est nécessaire pour être équipé et les agents doivent tirer seulement 50 cartouches par an pour s’exercer. Problème : à Bordeaux, le pas de tir, situé sous le commissariat, est HS depuis un bail à cause d’un problème de pollution au plomb ! Du côté de la “Municipale“, en comparaison, la formation dure cinq jours et doit être remise à niveau tous les 6 mois. « En plus, on est contrôlé et on peut nous désarmer si on n’est pas à jour dans la formation. Le vrai problème est idéologique. À Bordeaux, tant qu’il n’y aura pas d’obligation légale et tant qu’Hurmic sera à la mairie, on a aucune chance d’être armés.

M. Smihi semble concerné mais ses saillies dans la presse sur l’aptitude des agents à utiliser les armes nous ont foutu les boules. Pour lui, nos 30 Tasers sont suffisants ». La question de l’armement serait donc, selon les principaux intéressés, fondamentale dans le processus de recrutement. C’est sans doute ce qui a conduit Nicolas Florian à se déclarer récemment très favorable à cette mesure. « Il n’a jamais été aussi force de proposition pour la PM de Bordeaux que depuis qu’il n’est plus maire alors qu’il ne lui portait aucun intérêt quand il était aux manettes », tranche un agent.

Des armes et du pognon, tel serait donc le package indispensable pour attirer les meilleurs candidats. Mais ce dont aurait également bien besoin ce service en décrépitude, c’est d’un minimum de considération. De la part des politiques, évidemment, mais aussi des policiers nationaux.

RECHERCHE POLICE NATIONALE DÉSESPÉRÉMENT

« Dans les autres villes où j’ai travaillé, on était main dans la main avec les commissariats, mais ici je ne connais pas le nom d’un seul collègue de la Police Nationale. J’ai appris la mort du petit Lionel aux Aubiers par la presse alors que la veille on était dans le secteur. Les bandes rivales se déchaînent et on nous tient au courant de rien ». Ce constat amer d’une rupture de communication entre Polices Nationale et Municipale ne date pas d’hier mais s’est considérablement aggravé ces dernières années : « Les liens ne reposent plus que sur la bonne volonté des uns et des autres. C’est une affaire d’hommes, ça n’a plus rien d’officiel. Autrefois, on avait quatre lignes téléphoniques dédiées à la com PN-PM, plus qu’une aujourd’hui. Eric Krust, commissaire divisionnaire, les a supprimées à la demande du DDSP (Directeur Départemental de la Sécurité Publique). Ils ne sont clairement pas favorables au partage de données. C’est fou. On est une mine d’informations et ils s’en privent. »

« On collabore avec tout le monde : la BAC, les douanes,
les stups… C’est dans notre culture. »

Cette friture sur la ligne entre des services qui devraient naturellement collaborer peut aller jusqu’à l’absurde : « On ruine parfois les planques de la PN sans le vouloir. Il suffirait qu’ils nous disent d’éviter tel ou tel secteur et de nous informer que leurs agents sont en planque, mais non, ils ne nous préviennent jamais ». Et la réforme du 4 janvier, qui a vu la fermeture des commissariats de Bruges et du Bouscat, n’a rien arrangé : « En cas de besoin dans le secteur, on a plus aucun renfort. La PN arrive une demi-heure après qu’on les ait sollicités. On est censés partager un canal d’urgence mais je ne suis même pas certain qu’il y a un opérateur derrière l’appareil. Quand on a une situation tendue, on appelle le 17 ».

Même constat de mésentente cordiale avec les OPJ (Officiers de Police Judiciaire) qui doivent instruire les affaires que leur ramènent les agents de la PM : «On arrête des types pour trafic, on les présente aux OPJ qui souvent n’en veulent pas. Soit ils ont peur de déranger le procureur, soit ils nous disent qu’ils sont overbookés ou qu’ils ont reçu consigne du parquet de ne pas prendre tel ou tel type de dossier. Et quand ils daignent prendre l’une de nos affaires, ils nous font poireauter sur place pendant des heures. Imagine, tu ramènes à l’OPJ un mec bourré qui a agressé des gens, il pourrait le faire mettre en cellule le temps de la garde à vue, mais, pour son confort, parce qu’il veut l’avoir sous la main, il nous demande de le maintenir sur un banc, devant la porte de son bureau. Et comme il n’y a pas d’agent pour le surveiller, c’est nous qui nous y collons pendant parfois plusieurs heures».

Tels sont les obstacles, renoncements et petites humiliations qui se dressent chaque jour sur la route de ces agents pourtant plus que jamais aux avant-postes du maintien de l’ordre et de la paix.

DE LA RESPONSABILITÉ D’UN MAIRE

À l’issue de cette immersion au cœur de l’un des services les plus fondamentaux de notre vie locale, mais aussi l’un des plus maltraités, on a le sentiment que si rien n’est fait, si des actions fortes ne sont pas mises en œuvre rapidement, ces fantassins de la République que sont les policiers municipaux ne seront bientôt plus en capacité de remplir leur mission. Avec le risque de voir des agents se retirer des points chauds pour leur propre sécurité.

« Ça fait au moins 2 ans qu’on ne met plus les pieds aux Aubiers ou à Grand Parc. Pour l’instant, on se déploie encore à Saint Michel où on constate le plus de faits délictueux. C’est chaud, mais on s’accroche, on a pas le choix, ce sera la savane si on arrête de faire le job ».

Souhaitons que cet avertissement soit entendu par Pierre Hurmic à l’orée d’un été sous haute tension. Qu’il le veuille ou non, il est le seul à même de déterminer l’avenir de ce service public tellement essentiel à la sécurité de tous les bordelais.

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